Les tracts

Mutualiser les expertises des services de l'État aujourd'hui dispersées

Bertrand Landrieu, Préfet de la région d'Île-de-France, Préfet de Paris, président de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur.

Quel sera, pour les préfets, l'impact des transferts de compétences et du remaniement territorial dans le cadre de la décentralisation ?

La nouvelle étape de décentralisation renforcera l'intérêt des métiers du corps préfectoral et fournira aux préfets un levier supplémentaire pour piloter la réforme de l'État au niveau territorial. C'est la raison pour laquelle, les membres du corps préfectoral considèrent ce mouvement de nouveaux transferts de compétences comme une chance de faire progresser la déconcentration dont ils sont les plus fervents partisans.

Que les collectivités territoriales se voient confier de nouvelles responsabilités signifie, en pratique, qu'il se passera plus de choses sur le terrain et, par conséquent, que les préfectures auront plus de missions à remplir. Voilà pourquoi, les préfets et les sous-préfets adhèrent à une réforme dont ils ont compris qu'elle leur permettra d'être les représentants d'un État de qualité.

Voyez-vous des écueils à dépasser pour les préfets ?

À partir du moment où la décentralisation est désormais synonyme de déconcentration, les préfets auront plus de pouvoirs. En effet, l'État plutôt que de disperser ses moyens dans des activités de gestion où il n'est aujourd'hui qu'un intervenant parmi d'autres se donne les moyens d'être un partenaire de référence pour les collectivités territoriales. De surcroît, les préfets demeureront les pilotes des compétences qui demeurent des compétences de l'État, à l'instar de la sécurité.

S'agissant de la répartition des rôles entre préfets de région et préfets de département, les membres du corps préfectoral ont bien compris tout l'intérêt qu'il y avait à renforcer cette synergie. La relation entre les représentants de l'État n'a jamais été posée en termes hiérarchiques mais de collégialité. Il est clair que les préfets de région auront à cœur de consulter leurs collègues dans les départements pour animer et coordonner l'action de l'État.

Et la réorganisation des services déconcentrés de l'Etat ?

Si le projet de loi relatif aux responsabilités locales se consacre à titre essentiel aux nouvelles compétences transférées aux collectivités territoriales, quatre de ses articles concernent néanmoins les missions et l'organisation de l'État. Il en ressort notamment que les préfets, représentant de «chacun des membres du Gouvernement», se voient confortés dans leur rôle de direction des services de l'État. À ce titre, ils seront des acteurs à part entière de la réforme de l'État territorial qui ne peut manquer d'accompagner l'acte Il de la décentralisation. Sur le fond, le gouvernement travaille actuellement à la réorganisation de ses services sur le territoire et envisage la mise en place de pôles destinés à mutualiser les expertises des services de l'État aujourd'hui dispersées. Il est encore prématuré d'en dire davantage sachant qu'un décret sur l'organisation territoriale de l'État devrait paraître d'ici la fin de l'année. Sur cette base, l'année 2004 sera mise à profit pour tirer toutes les conséquences pour l'État de la décentralisation. Quant à la mise en œuvre des transferts de compétences et de personnels, les préfets seront bien entendu chargés, le moment venu, de la concertation avec les départements et les régions puis de la signature des conventions provisoires de mise à disposition des services et des conventions définitives de transfert des agents. Ce processus sera très progressif et étalé sur plus de deux ans, de telle sorte qu'il se déroule dans les meilleures conditions.

Comment seront gérées les craintes des agents à transférer ?

Il convient d'abord de ramener les choses à leurs justes proportions : sur plus de 2 millions de fonctionnaires de l'État, on estime à environ 140 000 le nombre de ceux susceptibles d'être transférés vers les collectivités territoriales. Parmi ceux là, l'essentiel de l'effectif est composé des personnels techniciens et ouvriers spécialisés (TOS), à hauteur de 90 000, et des personnels de l'Équipement chargés des routes nationales, à hauteur de 35 000. Il importe ensuite de relativiser les «craintes» que l'on prête à ces personnels. Dans certaines régions, les fonctionnaires concernés ont déjà eu l'occasion de dialoguer avec les collectivités territoriales. Beaucoup ont compris l'intérêt qu'ils pouvaient trouver à ce que leurs carrières soient gérées désormais localement et tiennent mieux compte de leurs aspirations professionnelles et personnelles. À ceux qui nourriraient malgré tout des réticences, il faut rappeler que l'actuel projet de loi offre des garanties individuelles aux personnels concernés par les transferts en leur laissant la liberté de choisir entre une intégration dans la fonction publique territoriale et un détachement de longue durée. Je suis sûr que l'on sera surpris par le choix qui sera fait par la majorité d'entre eux.