Les tracts

Les craintes suscitées par les perspectives de la décentralisation

Le débat organisé dans un salon du Sénat le 13 octobre, à l'initiative du groupe Liaisons Sociales, a permis d'avoir un éclairage sur l'approche sociale de la décentralisation. Entre craintes pour l'avenir et image galvaudée des collectivités territoriales, un constat s'est imposé : la nécessité impérieuse pour les conseils généraux et régionaux, en particulier, de s'engager dans une communication de proximité.

La lisibilité de la Fonction Publique Territoriale en question : avec 60 000 employeurs, la fonction publique territoriale souffre d'un déficit d'image. Et, véritable syndrome, la peur de la partialité de l'élu vis-à-vis des agents est un facteur récurrent d'inquiétude. C'est pourquoi l'idée de constituer une représentation nationale des élus de collectivités territoriales est en vogue. «Il n'y a pas de représentation des employeurs territoriaux au niveau national, reprochait ainsi Jacques Charlot, le directeur du CNFPT. Il n'existe pas de lieu de pilotage national de la Territoriale. C'est l'une des principales critiques des agents de l'État.» Il a pris en exemple la bourse nationale de l'emploi du CNFPT qui, comme celle de l'Union Nationale des CDG (UNCDG), était le résultat d'une participation «commune et efficace» des collectivités territoriales. Prémisse d'une représentation nationale des employeurs territoriaux, le collège des employeurs publics, réuni pour la première fois par le Ministre de la Fonction Publique le 14 octobre dernier, a notamment associé les représentants d'élus pour discuter de l'évolution salariale des fonctionnaires.

Un témoignage filmé, celui du DRH adjoint du Conseil Général du Maine-et-Loire, a bien résumé la problématique de fond exprimée lors des tables rondes sur la gestion sociale de la décentralisation, organisées le 17 octobre au Palais du Luxembourg à l'initiative du groupe Liaisons Sociales. La réussite des transferts d'agents de l'État sera certainement liée à la capacité et à la célérité avec lesquelles les collectivités d'accueil communiqueront auprès des futurs agents transférés. Les conseils généraux et régionaux ne sauraient en effet faire l'économie d'une démarche anticipée et personnalisée d'accueil et d'une information pratique des nouveaux venus. Car le défi sera moins les modalités des transferts que d'arriver à dépasser les craintes des agents de l'État déplacés. L'enjeu est double. La réussite de l'intégration de ces agents de l'État dans la fonction publique territoriale et, de façon complémentaire, l'efficacité des services publics locaux dont l'organisation sera remaniée.

C'est pourquoi le premier intervenant territorial de la journée, le directeur du CNFPT, Jacques Charlot, s'est voulu rassurant en rappelant que «les fonctionnaires territoriaux recrutés en 2003 étaient très loin du modèle de fonctionnaires d'il y a 20 ou 30 ans. Ceux-ci satisfont aujourd'hui à des demandes autrement exigeantes des citoyens. On a trop tendance à aborder la question en se référant à un modèle théorique du fonctionnaire.» Alors quelles seront les conditions de réussite de cette seconde vague de décentralisation ? «C'est un problème d'embrayage un peu rapide, image Jacques Charlot. Pour l'instant, il patine, le temps que nous trouvions un vocabulaire et des mots communs avec nos collègues de l'État. Mais ensuite, lorsque nous aurons dépassé une information basique, «la FPT expliquée aux enfants», nous devrons répondre à des besoins très spécifiques. L'enjeu tiendra alors à notre capacité à développer les échanges d'informations et d'expériences».

140 000 agents de l'État dispatchés pour l'essentiel sur une centaine de conseils généraux et 26 régions ! Ce cocktail ne pourra qu'induire des bouleversements importants. Compte tenu du nombre réduit de collectivités et de la somme importante d'agents à accueillir, l'organisation et les structures ne pourront qu'évoluer sensiblement.

Le bouleversement touchera aussi les agents territoriaux

La réaction préoccupée du président du conseil régional de Lorraine, Gérard Longuet, en dit long sur l'étendue du chantier, «Nous n'étions pas à tout prix pour gérer les techniciens, ouvriers et agents de service (TOS), a-t-il assuré. Le conseil régional compte 300 agents et nous allons devoir intégrer 2800 nouveaux agents. Et ça, je ne sais pas faire. Cependant, les conseils généraux et les conseils régionaux ont des logiques différentes. Dans les premiers, il existe déjà des services avec des personnels qui s'apparentent aux TOS, et sauront les gérer. Ce n'est pas le cas dans les régions. Celles-ci devront faire preuve d'imagination.» Mais, évidemment, les conseils généraux ne seront pas en reste. Ils n'auront peut-être pas à créer les services qui seront chargés de gérer les nouveaux personnels. Mais il leur faudra en revoir l'organisation, par exemple dans le cas des services qui ont en charge les routes. «Nous conserverons naturellement ce qui fonctionne, assure Hervé Brehier, vice-président du conseil général de Loire-Atlantique. La décentralisation apportera cependant une remise en cause de notre fonctionnement. Et, ce sera l'occasion d'organiser le fonctionnement des services concernés.» Dans ce contexte, les agents territoriaux seront pleinement associés à l'évolution de ces services.

Des logiques différentes selon les personnels transférés

Les deux exemples mis en relief lors du forum du 13 octobre portaient sur l'approche des gestionnaires des transferts de personnels au sein du Ministère de l'Équipement d'une part, et de celui de l'Éducation Nationale de l'autre. Ces deux cas de figure ont mis en évidence des problématiques fortement divergentes. L'ampleur des mouvements de personnels n'a certes pas la même importance dans les deux ministères. 35 000 agents des DDE seraient concernés contre un peu plus de 90 000 pour les agents de l'Éducation nationale. Cette distinction reste cependant à minimiser lorsque l'on compare les effectifs de ces deux ministères respectivement de 110 000 et 1,6 million d'agents. «Le volume des transferts constituera un véritable bouleversement. Nous devrons redéfinir les missions du Ministère de l'Équipement, répartir les mouvements d'agents, et revoir notre organisation centrale. Car le niveau départemental et infra départemental va beaucoup changer. Nous devrons réformer de façon cohérente», prévoit le directeur du personnel du ministère, Christian Parent. Même son de cloche du côté de son homologue du Ministère de l'Éducation Nationale : «Nous, administration, avons du mal à anticiper, expose pour sa part Dominique Antoine. Le processus décisionnel (examen parlementaire du projet de loi à venir) n'est pas allé jusqu'à son terme. Il faut toutefois expliquer aux agents l'enjeu d'une gestion de proximité. Cette gestion sera plus cohérente. Il est en effet plus compliqué pour moi de gérer 200 000 fiches de paie au plan national ...»

Distinction de poids, les agents de l'Équipement devraient rejoindre les services des conseils généraux tandis que ceux de l'Éducation Nationale resteront attachés aux établissements scolaires. Cette différence sur leur affectation semblait a priori psychologiquement plus lourde à gérer pour les agents des DDE. Pourtant, le constat établi lors du débat du Palais de Luxembourg, en confirmant les réactions de la rue, a souligné l'effet inverse. Les agents de l'Éducation Nationale concernés par les transferts sont beaucoup plus inquiets que leurs homologues de l'Équipement.

«Il y a eu un mouvement social très fort, et certainement des fantasmes sur l'impact de la décentralisation, reconnaissait Gérard Aschieri, le secrétaire général de la FSU. Cela tient aux maladresses, toutes ces questions de fond qui n'ont pas été traitées dans le cadre du projet de décentralisation. Cela d'autant plus que le transfert des TOS concerne toute la communauté éducative. Pas seulement les TOS.» L'éloignement de ces fonctionnaires de leurs futurs centres de décision, les collectivités territoriales, et leur méconnaissance de celles-ci, y est certainement pour beaucoup.

Communiquer vite et bien

Une explication que semble confirmer la situation des DDE. Le Ministère de l'Équipement a un avantage certain. La décentralisation ne débute pas avec ce nouveau texte de loi. Des agents ont déjà été transférés aux collectivités territoriales dans le cadre initial de la décentralisation. «La mise en mouvement a déjà eu lieu lors de la première vague, confirme Lucien Bollotte, le directeur départemental de l'Équipement des Alpes-Maritimes. Cette mise en mouvement permettra peut-être de mieux aborder la décentralisation.» Il s'avère d'autre part que les DDE travaillent généralement en concertation étroite avec les conseils généraux. De fait, les agents de l'Équipement sont plus familiers avec leurs collègues territoriaux. Et ont par conséquent moins d'appréhension ou d'idées surfaites sur une carrière dans un conseil régional ou un conseil général. «Le métier des routes va beaucoup changer dans les départements, souligne encore Marc Bourgeois, le DGA chargé des routes du CG des Hautes-Alpes. Il va falloir en parler et le conduire vite pour éviter les rumeurs. Nous devrons trouver le bon équilibre.»

«La première vague de décentralisation a été très réussie, a estimé Bernard Toullemonde, inspecteur général de l'Éducation Nationale et président de l'AFAE. Dans les établissements scolaires, les départements et les régions ont fait mieux, plus et plus vite. La philosophie de cette deuxième vague n'est cependant plus la même. Les établissements se sont diversifiés et sont très différents aujourd'hui. On entendait au début des années 80 : «c'est la fin du service public», des slogans que j'ai encore vus dans le cadre de cette décentralisation. Certains ont même parlé de décentralisation de l'école primaire alors qu'elle existe depuis 1833 (loi Guizot). Il y a une grande ignorance. Il faut expliquer cette décentralisation. Et rassurer ! »