L'accentuation de la lutte contre le travail illégal ne risque-t-elle pas de détourner l'inspection du travail de ses missions essentielles ?

Les Orientation 2006-2007 présentées lors de la réunion de la Commission Nationale de Lutte contre le Travail Illégal du 26 janvier 2006 et la communication sur la lutte contre le travail illégal faite en Conseil des ministres du 22 mars 2006 vont dans le sens d'une plus grande implication des agents de l'inspection du travail.

En effet, le Bilan du Plan National de lutte contre le travail illégal (janvier 2006) précise que 10 607 contrôles (sur un total de 59 256), dont 3 267 dans le secteur agricole, ont été effectués dans le cadre des COLTI (comités opérationnels de lutte contre le travail illégal), et auxquels ont participé les services d'inspection du travail. Par ailleurs, le rapport au Bureau international du travail sur l'inspection du travail en 2004 (avril 2006), précise que la part des procédures (observations et procès-verbaux) relatives à la lutte contre le travail illégal a fortement augmenté (page 217).

Le Ministre a déclaré lors du conseil des ministres du 22 mars que le plan de lutte contre le travail illégal pour 2006-2007 aura un champ plus large et ne se limitera plus à certains secteurs d'activités. Ce nouveau plan s'appuiera sur 3 piliers dont : « La mise en œuvre d'un plan de modernisation et de développement de l'Inspection du travail qui implique, outre une réorganisation de fond avec une autorité centrale dans le respect de la convention 81, l'octroi de moyens supplémentaires portant les effectifs d'ensemble à 2 084 postes sur la période 2006-2010, permettant ainsi une mise à niveau avec les services comparables de l'Union européenne. »

Il a également déclaré que : « Au plan central, la coordination interministérielle s'est appuyée sur la réactivation de la Commission nationale qui rassemble tous les acteurs institutionnels et les partenaires sociaux. Par ailleurs, a été créé l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), structure de police judiciaire dédiée à la lutte contre le travail illégal. Enfin le Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI) permet dorénavant d'articuler des objectifs de lutte contre le travail illégal et ceux d'une politique d'immigration choisie.»

La Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT précise, dans une étude relative à l'inspection du travail (Rapport III - 1 B, de la 95ème Conférence international du travail de 2006), « §368. Il ressort de l'examen des législations et des pratiques nationales que les missions confiées à l'inspection du travail sont généralement celles prévues par les instruments, soit, principalement, de veiller à l'application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs dans l'exercice de leur profession.

L'exercice de ces missions n'en diffère pas moins grandement selon les pays. Les différences portent sur la part de temps consacrée par l'inspection aux différentes fonctions de prévention et de contrôle, aux contrôles à l' initiative de l'inspection par rapport à ceux en réaction à des plaintes, aux missions portant sur la sécurité et la santé au travail par rapport à celles visant au respect des autres conditions d'emploi. Dans certains pays, le gouvernement donne la priorité à la lutte contre le travail clandestin ou l'emploi illégal qui est fréquemment liée à l'application du droit de l'immigration. Toutefois, cette tâche ne devrait pas prendre une importance telle qu'elle détourne l'inspection du travail de sa mission essentielle de protection de l'ensemble des travailleurs, sans exclusive. (.) »

Le renforcement des moyens de l'inspection du travail annoncé dans le Plan santé au travail en février 2005 et dans le projet de plan de modernisation de l'inspection du travail le 9 mars 2006, qui visait à accroître les capacités d'interventions de l'inspection du travail dans le champ de la santé au travail, vont probablement servir à accentuer une politique de contrôle de la main d'ouvre étrangère sans autorisation de travail. Cette politique ne se fait-elle pas au mépris des engagements internationaux de la France. En effet, l'article 3, §2, de la Convention n°81 de l'OIT sur l'inspection du travail dispose que : "Si d'autres fonctions sont confiées aux inspecteurs du travail, celles ci ne devront pas faire obstacle à l'exercice de leurs fonctions principales ni porter préjudice d'une manière quelconque à l'autorité ou à l'impartialité nécessaires aux inspecteurs dans leurs relations avec les employeurs et les travailleurs.". L'accroissement des activités hors convention n°81 ne va probablement pas dans le sens d'une meilleure efficacité de l'inspection du travail.

Les données sur l'activité de l'inspection du travail en matière de lutte contre le travail illégal dans le rapport au BIT sur l'inspection du travail en 2004 sont : travail dissimulé :

Nombre de P.V.
20031964
20042212

Soit une progression de 12,63%.

Nombre d'observations
200313222
200417701

Soit une progression de 33,88%.

Emploi d'étrangers sans titre :

Nombre de P.V.
2003546
2004444

Soit une baisse de 18,68%.

Nombre d'observations
20033292
20045275

Soit une progression de 60,24%.