Points de vue sur l'actualité

Petites dénonciations entre collègues

De nouveau, un tribunal a suspendu l'utilisation d'un système dit d'alerte professionnelle ou encore dit de dénonciation d'actes illégaux. Les 280 salariés du site de l'entreprise Benoist-Girard d'Hérouville-Saint-Clair (14) peuvent enfin travailler plus sereinement. Sans suspecter leurs collègues de travail de mauvaises intentions à leur égard. Le logiciel informatique mis en place en 2008 par le groupe américain (Stryker Orthopaedics) auquel le site appartient n'est pas du tout du goût des salariés. Ceux-ci ont vite perçu les dérives d'un tel système qui permet, sous couvert d'anonymat, d'informer son employeur des agissements de ses collègues, du plus anodin comme du pénalement répréhensible. L'affaire a ainsi été portée devant la justice. Le tribunal d'instance de Caen vient de trancher en leur faveur en ordonnant la suspension du dispositif. Si dans les pays anglo-saxons le système d'alerte professionnelle, encore appelé whistleblowing, est répandu et accepté par le plus grand nombre pour dénoncer des actes de corruptions ou des fraudes, en France de nombreuses voix, s'appuyant notamment sur la loi informatique et libertés de 1978, s'élèvent depuis quelques années pour dénoncer les dérives induites par un tel système. Dans cette récente affaire, le juge des référés estime, en effet, que le dispositif “présente des risques sérieux de mise en cause abusive ou disproportionnée de l'intégrité professionnelle voire personnelle ”. Plus grave encore, ce dispositif “ permet de dénoncer anonymement des faits qui ne concernent pas seulement des faits de corruption ou de malversations... mais aussi des sujets d'ordre général”. Cette affaire n'est pas la première du genre. En février 2005, le tribunal d'instance de Lyon avait exigé le retrait d'un système similaire au sein de l'entreprise Lennox. De tels dispositifs, selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), dans leur principe même, peuvent mécaniquement conduire à un système organisé de délation professionnelle. La possibilité de réaliser ces “alertes” de façon anonyme ne peut, toujours selon elle, que renforcer le risque de dénonciation calomnieuse. Sans toutefois interdire un tel système, la Cnil, dans une délibération de 2005, l'a restreint à un champ spécifique comme celui du domaine comptable, du contrôle des comptes et bancaire, ainsi que de la lutte contre la corruption. La Cour de cassation devrait très prochainement se prononcer sur le sujet dans une affaire similaire.