Points de vue sur l'actualité

Le rôle des syndicats en question

Dominique-Jean Chertier, directeur général adjoint des affaires sociales et institutionnelles de Safran et ancien conseiller social de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, a remis le 21 avril un rapport à Dominique De Villepin sur « l'amélioration du dialogue entre le gouvernement et les partenaires sociaux, ainsi que la société civile ». Commandé à la mi-décembre par le Premier ministre, ce rapport doit faire l'objet d'une « concertation approfondie » avec les partenaires sociaux et du président du Conseil économique et social, selon Matignon. Un autre rapport, celui de Raphaël Hadas-Lebel sur la représentativité et le financement des organisations professionnelles et syndicales, a lui aussi été remis à Dominique de Villepin. Vous trouverez ci-dessous un résumé du contenu de ces deux rapports.

Rapport Chertier - Moderniser le dialogue social

Un tripartisme inorganisé

Face aux tensions qu'elle connaît, la société française est devenue plus «éruptive», souligne le rapport : la pratique de la grève se réduit dans le secteur privé, mais la conflictualité se traduit de plus en plus dans les manifestations et les sondages d'opinion. Et le système français de relations sociales, mélange de formel et d'informel, se caractérise par un tripartisme «inavoué» et «inorganisé», sans langage commun entre ses acteurs.

Notre système de relations sociales souffre en sus de deux paradoxes :

  • Plus le champ des compétences de l'État se rétrécit, par le jeu de transferts aux collectivités locales, à l'Union Européenne, à des agences administratives indépendantes, plus le volume de la législation s'accroît. «La législation sociale est devenue l'un des lieux privilégiés du surinvestissement résiduel de l'État», indique le rapport.
  • Le rôle dévolu aux partenaires sociaux pose la question de leur représentativité et de leur expertise. Et la situation ressemble à un cercle vicieux : «On ne confie pas de sujets aux partenaires sociaux au motif qu'ils ne seraient pas capables de bien les traiter, et le fait de ne pas leur confier de responsabilités leur enlève le crédit nécessaire aux yeux de l'opinion, et les exonère de l'obligation de contractualiser».

Le rapport fustige aussi la multiplication des instances de dialogue social. Leur saisine, sans être garant d'un quelconque dialogue, aboutit « à une complexité qui confine à la confusion ». Dominique-Jean Chertier pointe aussi les difficultés du dialogue social dans la Fonction publique, «un élément de perturbation pour l'ensemble des relations sociales dans le pays».

Les propositions du rapport

Le rapport fait plusieurs suggestions.

  • Construire en amont un agenda de réformes partagé et connu de tous les acteurs, actualisé chaque année, notamment en fonction du programme national de réformes présenté par la France au niveau européen. Cet agenda, ainsi que ses actualisations, serait présenté par le Premier ministre devant le Conseil économique et social (CES).
  • Prévoir un «temps réservé» à la concertation, voire à la négociation, dans la conduite des réformes. Le rapport propose un délai minimal de trois mois entre l'annonce d'un projet de réforme et l'adoption du texte correspondant en Conseil des ministres. Cette procédure, qui suppose une «révision très limitée de la Constitution», pourrait connaître une variante renforcée en matière du droit du travail, qui s'inspire de la règle actuellement en vigueur au niveau européen. Le gouvernement lancerait le processus en annonçant son intention de conduire une réforme dans le champ du droit du travail et en publiant un document support à la concertation. Les partenaires sociaux auraient un mois pour faire connaître leur intention de se saisir ou non du sujet. La période de «temps réservé» serait alors utilisée comme espace de négociation, pendant lequel le gouvernement ne pourrait pas prendre d'initiative dans le même domaine. Cette période pourrait être prolongée au-delà de trois mois, en fonction des chances d'aboutir à un accord. À défaut d'accord au terme de l'échéance, le gouvernement recouvrerait son droit d'initiative. En cas d'accord, le Parlement pourrait soit refuser l'accord en bloc, soit l'accepter en bloc, mais ne pourrait en modifier le contenu. À cette fin, serait proposé «au Parlement le vote d'une loi d'habilitation permettant au gouvernement de transcrire par voie d'ordonnance l'accord des partenaires sociaux».

Restructurer le paysage des instances de concertation :

  • faire du Comité Economique et Social le pivot du dialogue social. Cela conduirait à en réformer la composition, afin de le rendre plus représentatif, et le fonctionnement. Le CES pourrait être ainsi organisé autour de trois collèges : représentants des salariés, représentants des employeurs et représentants de la société civile, dont les mandats seraient portés à six ans. Il serait renouvelé par tiers et sa composition revue tous les 12 ans. Le système de vote individuel au sein du Comité Economique et Social serait abrogé au profit d'expression de positions par collèges, avec la possibilité d'opinions divergentes des membres et organisations ;
  • conduire sous le contrôle du Parlement un inventaire exhaustif des instances de concertation existantes et procéder à une simplification drastique des instances par suppression, fusion ou rapprochement. À l'avenir, la suppression d'au moins une instance devrait être prévue pour chaque nouvelle création ;
  • s'appuyer sur une rénovation des instances et des procédures pour faire évoluer le dialogue social dans la Fonction publique.

Rapport Hadas-Lebel - Représentativité et financement des syndicats, validité des accords et négociation dans les PME

Dans la foulée du rapport Chertier sur la modernisation du dialogue social, Raphaël Hadas-Lebel, nouveau président du Conseil d'orientation des retraites (COR), a remis le 3 mai au Premier ministre un rapport sur la représentativité et le financement des syndicats. L'ancien président de la section sociale du Conseil d'État propose deux scénarii de réforme pour chaque sujet abordé : représentativité, validité des accords, négociation dans les PME et financement des syndicats. Le premier scénario dit «d'adaptation» envisage des changements progressifs, alors que le second scénario, dit de «transformation», prévoit des modifications plus profondes au regard des règles en vigueur.

Représentativité syndicale

Sur la délicate question de la représentativité, les critères actuels datent depuis un demi-siècle et ne correspondent plus à la réalité syndicale.

Dans le scénario d'adaptation, le rapport suggère :

  • le maintien de la présomption irréfragable de représentativité des syndicats affiliés aux confédérations reconnues représentatives par le gouvernement ;
  • le remplacement des actuels critères de représentativité (effectifs, indépendance, cotisations, expérience et attitude patriotique pendant l'Occupation) par la capacité d'influence et l'indépendance (mesurée notamment par l'audience électorale, le nombre d'adhérents ou les moyens financiers) l'activité et l'expérience de l'organisation et le respect des valeurs républicaines ;
  • la révision périodique de la liste des organisations représentatives après chaque élection prud'homale tous les cinq ans, ou après chaque cycle d'élections professionnelles, tous les quatre ans, ou selon toute autre périodicité à définir ;
  • une clarification des prérogatives liées à la qualité d'organisation syndicale représentative ;
  • une facilitation des procédures de reconnaissance de la représentativité dans la branche ou dans l'entreprise, pour les organisations exclues de la présomption irréfragable.

Le scénario de transformation s'appuierait sur une représentativité de nature élective, au regard des résultats aux élections prud'homales, aux élections de Délégué du Personnel, ou d'élections de représentativité de branche. Cette évolution impliquerait que :

  • la présomption irréfragable ne jouerait plus qu'au niveau national interprofessionnel, les organisations ne bénéficiant que d'une présomption simple dans la branche et l'entreprise, contestable sur la base du seul critère d'audience ;
  • le monopole de présentation des candidatures au premier tour des élections professionnelles par les seules organisations représentatives dans l'entreprise serait réexaminé ;
  • un seuil chiffré de représentativité élective serait fixé, applicable à chacun des niveaux. Il serait de l'ordre de 5% ou 10%, selon que l'on souhaite ou non favoriser le regroupement des organisations syndicales.

Validité des accords

Une première option prudente du scénario d'adaptation consisterait à laisser le temps aux acteurs sociaux de s'emparer des outils issus de la loi du 4 mai 2004 tout en menant une évaluation et une réflexion d'ici le 31 décembre 2007. Une seconde option, plus ambitieuse, consisterait à mettre fin à la distinction entre majorité d'opposition et majorité d'engagement, ainsi qu'à la coexistence de plusieurs types de majorités (en nombre ou en voix, selon le niveau) : un accord serait valide dès lors que les syndicats favorables au texte pèseraient plus en termes de représentativité élective que les syndicats s'engageant contre le texte. En revanche, le poids électoral des syndicats ne se prononçant pas sur le texte ne serait pas pris en compte dans le calcul de cette majorité (qui deviendrait donc relative).

Le scénario de transformation consisterait à faire évoluer la loi vers un système simple de majorité d'engagement (plus de 50% des suffrages exprimés). L'absence de signature reviendrait à une opposition afin d'inciter les syndicats à s'engager clairement. La mise en place de ce système pourrait être progressive, en le réservant d'abord au niveau des entreprises ou en abaissant provisoirement le seuil de majorité requis.

Négociation dans les PME

Pour favoriser le dialogue social dans les PME, le rapport envisage là encore deux scénarii :

Le scénario d'adaptation se traduirait par un assouplissement des « verrous » de la loi du 4 mai 2004 :

  • suppression de la condition d'un accord de branche préalable pour la conclusion d'accords avec des salariés élus ou mandatés ;
  • aménagement des conditions de validation ex-post des accords conclus avec les élus du personnel, soit dans le cadre d'une commission paritaire de branche, soit grâce à l'approbation par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de la branche ;
  • possibilité de recours au mandatement, laissé plus largement à l'appréciation des interlocuteurs sociaux de l'entreprise.

Le scénario de transformation consisterait à créer, à titre expérimental, une instance unique regroupant l'ensemble des représentants des salariés, avec deux options :

  • soit le rôle des Délégué Syndicaux subsisterait pour la conclusion des accords (ceux-ci pouvant, au choix, être désignés selon le schéma actuel ou, propose le rapport, au sein des élus du personnel) ;
  • soit l'instance se transformerait en lieu de négociation et de délibération sur les accords.

Financement des syndicats

Dans le cadre du scénario d'adaptation, le rapport suggère :

  • l'extension du chèque syndical, dispositif par lequel les salariés reçoivent un chèque à remettre à l'organisation de leur choix ;
  • la confirmation par la loi d'un statut fiscal spécifique aux organisations syndicales ;
  • une plus grande transparence des interventions de l'État employeur, notamment en régularisant ou supprimant les subventions attribuées par les ministères ;
  • la sécurisation de la mise à disposition de salariés du privé auprès des organisations syndicales ;
  • un financement conforté du congé de formation économique, sociale et syndicale ;
  • la publication de comptes annuels par les confédérations, fédérations, unions régionales et départementales.

Le scénario de transformation vise à renforcer la place de l'adhérent et de l'audience dans le système de financement, grâce à :

  • l'augmentation de la déduction fiscale liée aux cotisations (elle pourrait être portée de 66 % à 75 %) ou son remplacement par un crédit d'impôt, ce qui permettrait d'étendre l'avantage fiscal aux non-imposables ;
  • l'instauration d'un financement public en contrepartie des missions d'intérêt général assurées par les organisations syndicales ;
  • le réexamen de la répartition des financements publics entre organisations en vue de mieux prendre en compte leur audience ;
  • l'institution d'une contribution spécifique des entreprises destinée au financement du dialogue social, en contrepartie de la suppression de dispositifs actuellement à la charge des entreprises.