Points de vue sur l'actualité

Argumentaire Lundi de Pentecôte 2006

La CFTC, syndicat de la solidarité intergénérationnelle et de la famille reste persuadée que la mesure mise en place par le gouvernement en 2005 (*) - obligeant les salariés à travailler sans être payé et l'Etat à ponctionner 0,3 % de la masse salariale pour une caisse dite “ de solidarité ” - ne répond en rien aux problèmes du vieillissement de la population et de l'intégration des personnes handicapées.

La CFTC maintient qu'elle est, toutefois, favorable à une mobilisation nationale de solidarité en faveur de ces deux publics et a oeuvré pour que le Conseil économique et social réalise un diagnostic de la prise en charge, une évaluation des futurs besoins et des propositions, notamment budgétaires.

Loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005, incluant, une partie de son financement, par une journée dit “ de solidarité ” pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Elle impose aux salariés un jour travaillé dit de “ solidarité ” non payé dans l'année (sept heures sur l'année). Une précision, par la suite, a été ajoutée : le lundi de Pentecôte le serait “ par défaut ”. Une circulaire du 22 novembre 2005 a, ensuite, autorisé, pour 2006 et par accord collectif, le fractionnement en tranche horaire de cette journée (Circ. DRT n°14, 22 nov. 2005).

Les objections, résumé en huit points

Un principe éthique inacceptable

En instaurant cette mesure, en la fondant sur l'obligation plutôt que sur le volontariat, le gouvernement s'inscrit dans la définition même du travail forcé (« le retour de la corvée »), touchant à un principe essentiel : « tout travail mérite salaire ».

La cohésion sociale mise à mal

Le lundi de Pentecôte appartient à tous les Français,et est utile à denombreuses manifestations familiales, sportives, touristiques, culturelles, religieuses,etc. depuis des temps presque immémoriaux. A Moissac, la Fête de la batellerie du Tarn, par exemple, date de cinq siècles. A la Pentecôte, ce sont plus de1 000 tournois de footqui sont organisés dans toute la France par les bénévoles de la FFF.

La suppression de ce repère commun cause un préjudice considérable à la cohésion sociale, en s'attaquant à un temps fort de la vie familiale, associative, culturelle, spirituelle et touristique.

La CFTC dénonce en outre les remises en question du droit et des acquis sociaux.

Une remise en cause déguisée du temps de travail.

Le temps de travail annuel passe de 1 600 à 1 607 heures, ce qui est une remise en cause inacceptable et en catimini d'accords sur les 35 heures librement négociés par les partenaires sociaux et qui reposaient sur des équilibres fragiles, résultats de concessions de part et d'autre.

Une mesure fiscalement injuste

La taxe jour férié étant présentée comme le moyen de financer le cinquième risque de la Sécurité Sociale, ne faire peser cet impôt que sur les seuls salariés brise le principe de l'égalité devant l'impôt.

Comment justifier que tout le secteur non salarié, les professions libérales, les retraités, les artisans, les parlementaires, les agriculteurs soient exonérés de « solidarité » ?

Le salarié modeste, dont les revenus ne sont pas suffisants pour être imposable, se voit taxé d'une journée de travail. Alors qu'à l'inverse, quel est l'effort de solidarité demandé la personne suffisamment riche pour ne pas travailler ?

Une étude économique bâclée, voire inexistante.

Les impacts économiques de cette loi bâclée n'ont pas été évalués sérieusement.

Son rapport financier dépendant étroitement de la croissance économique, au lieu de rapporter,elle peut devenir coûteuse en période de croissance faible(cf. rapport OCDE). Présentée initialement comme devant rapporter 1,9 milliards d'euros, le discours officiel parle maintenant de 2,1 milliards, alors que les prévisions de croissance de la France ont été revues à la baisse !

A noter que la perte de recette fiscale due à la baisse de l'impôt sur le revenu est estimée à 1,7 milliards d'euros. Où est la cohérence ?

Sescoûts directs et indirects,dont on sait maintenant qu'ils sont considérables (coûts de fonctionnement des infrastructures, pertes de TVA, baisse de TIPP, diminutions des activités hôtelières et touristiques, baisse de consommation, pertes d'emplois (rapport OCDE…) n'ont ni été pris en considération, ni évalués.

Une vision économique kolkhozienne

Au lieu de créer les conditions d'une activité économique dynamique, générant les ressources nécessaires au fonctionnement de l'Etat, le Gouvernement a choisi de décréter une journée d'activité supplémentaire, que l'activité existe ou non (cela se traduira par une journée de chômage technique supplémentaire pour certaines usines de production notamment dans l'automobile), et de taxer cette activité a priori, que cette activité soit productrice de richesse ou non (quelle production de richesse peut-on attendre d'un jour de fonctionnement de plus du service des cartes grises ?).

De plus, l'Etat, comme employeur, est lui même assujetti à la taxe de 0,3 % qu'il a instauré, dépense non financée et non productrice de richesse, venant alourdir encore le déficit budgétaire.

Or la croissance ne se décrète pas, pas plus que la diminution du chômage.

Une inadéquation des moyens aux besoins

Les ressources théoriquement issues de la taxe sur la journée dite « de solidarité » serontlargement insuffisantespour le traitement du problème de la dépendance.

A cevrai problème, identifié par le Gouvernement, il n'est proposé qu'unemauvaise solution, gadget absurde et démagogique.

Taxe Pentecôte : un rejet massif

Si, au lendemain de la canicule meurtrière de l'été 2003, l'émotion était telle que n'importe quelle proposition aurait été acceptée, le bénéfice de l'apaisement permet de mieux jauger la « taxe Pentecôte » : selon les sondages, entre60 et 80 % des Français se disaient opposés à cette loi.

L'action

La grève

La Confédération appelle àla résistance civique en couvrant tous les salariés par un mot d'ordre national de grève pour le lundi 5 juin 2006.

Aux FD, UR, UD, de répercuter l'appel.

La CFTC couvre également les absences de ceux dont la journée de solidarité tombe un autre jour : jeudi de l'Ascension (25 mai) ... ou tout autre jour de RTT ou de CP choisi au hasard dans l'année.

Elle appelle chacun à ne pas renier ses engagements le jour même. Rencontres sportives ou randonnées, pèlerinages ou rendez-vous culturels, fêtes de familles, bénévolat,...

Cette grève est licite !

Est admise comme licite, une grève de protestation contre les décisions de la puissance publique si les revendications formulées sur le plan national ont un caractère professionnel (Cass. Soc. 29 mai 1979, n° 7840-553). «  Tout salarié peut s'associer à un mouvement de grève, même si aucune revendication particulière à l'entreprise n'a été formulée et même si le salarié est seul à suivre ce mot d'ordre dans l'entreprise. » Le salarié du privé n'a aucune obligation de faire part d'une quelconque revendication à son employeur. Mais il conviendra, par courtoisie, d'indiquer à son supérieur hiérarchique son absence. Aucun document écrit ne peut être exigé.

Ainsi, les salariés qui seront en grève le lundi 5 juin 2006 le seront en toute légalité (sous réserve du respect du préavis pour les services publics : FGF, hospitaliers, territoriaux).

Les premières jurisprudences émanant des prud'hommes ont donné gain de cause aux

salariés n'ayant pas travaillé à la Pentecôte 2005 et contesté le retrait d'une journée de leur salaire (cf. affaire Trigano papier BH). Toutefois, la CFTC incite à la vigilance car aucune confirmation de ces décisions en Cour d'appel ou en cassation n'a eu lieu.

L'appel à la grève lancée par la Confédération pour le Lundi de Pentecôte et le Jeudi de l'Ascension concerne aussi les journées dite « de solidarité » fixées un autre jour dans l'année.

S'il y a eu un accord dans l'entreprise, il appartient au DS d'officialiser la grève.

Toutefois, cette grève n'est évidemment possible que si la journée dite « de solidarité » est fixée un jour précis, et non fractionnée en heures (1h par-ci par-là) ou en une journée de RTT ou de CP, à placer au hasard dans l'année.

Pour ces salariés-ci, la Confédération continue à oeuvrer politiquement et juridiquement, notamment via les recours exercés devant le conseil d'Etat et la cour européenne des droits de l'Homme.

Ecoles fermées

La CFTC reste opposée à toute suppression d'un jour férié, tel que celui de la Pentecôte. D'autant que, le 5 juin 2006, les familles aux revenus modestes qui travaillent seront pénalisées et devront trouver une solution afin d'organiser la garde de leurs enfants car les écoles seront fermées le jour de la Pentecôte, contrairement à l'an dernier.

Le recours en justice

Dès avril 2005, la CFTC a déposé un recours devant leConseil d'Etatconsidérant que le principe «  de travail obligatoire non rémunéré » est prohibé par les textes européens et internationaux ratifiés par la France. Dans l'attente d'une décision sur le fond, la CFTC, à maintes reprises, a relancé le ministère du Travail qui a tardé à déposer son dossier devant la haute juridiction et vient, seulement, de le lui transmettre. La CFTC, dans le même temps, a porté cette affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Soumise à l'obligation d'épuiser toutes les voies nationales avant d'envisager un recours devant une juridiction européenne, la recevabilité du recours de la CFTC, va maintenant commencer à être examinée par la CEDH qui statuera ensuite sur le fond.

Le dossier se construit avec deux griefs principaux :

  1. illégalité du travail forcé (travail obligatoire non rémunéré)
  2. principe de non-discrimination. L'Etat brise l'égalité des citoyens devant l'impôt, puisque cette contribution “de solidarité” n'est financée que par les salariés. Y échappent notamment les professions libérales, les commerçants, les artisans, les agriculteurs et les …. Parlementaires.

Première jurisprudence

Les premières jurisprudences émanant des prud'hommes ont donné gain de cause aux salariés n'ayant pas travaillé à la Pentecôte 2005 et contesté le retrait d'une journée de leur salaire (cf. affaire Trigano développée ci-dessous).

Toutefois,la CFTC incite à la vigilance car aucune confirmation de ces décisions en Cour d'appel ou en cassation n'a eu lieu.<:b>

Affaire Trigano : Un jugement en faveur des salariés

Un jugement a été rendu récemment par une juridiction de première instance. A ce jour et à notre connaissance, seul le Conseil de Prud'hommes de Romans sur Isère, qui a statué en premier et dernier ressort, a jugé une affaire sur cette question. La décision, favorable au salarié, ne préjuge pas de ce que la Cour de cassation pourrait décider si elle était saisie ultérieurement.

Dans l'affaire (Yves Garcia - Trigano VDL du 4 avril 2006), un salarié ne s'est pas présenté à son travail le lundi de Pentecôte 2006, qui correspondait à la journée de solidarité dans son entreprise.

L'employeur en a déduit une absence du salarié et, de ce fait, a effectué une retenue sur salaire correspondant à la durée de cette absence. L'entreprise a justifié sa décision en application de la circulaire DRT du 20/12/2005. Associée à cette circulaire, une note explicative précisait que les employeurs pouvaient opérer une retenue sur salaire en cas d'absence injustifiée du salarié le jour de solidarité. Elle s'appuyait sur une jurisprudence constante autorisant l'employeur à pratiquer une retenue sur salaire pour les heures non travaillées en cas de refus du salarié de venir travailler un jour férié ordinaire non chômé (Cass. soc., 3/06/1997, Monoprix).

Le salarié a contesté la décision de son employeur devant le Conseil de Prud'hommes et a demandé le paiement de la journée de solidarité et de ses accessoires.

Le Conseil de Prud'hommes a rendu son jugement le 4 avril 2006 et a tranché en faveur du salarié. Il a motivé sa décision en précisant :

  • l'article L. 212-16 du code du travail relatif à l'instauration de la journée de solidarité pose le principe d'une journée supplémentaire de travail non rémunérée mais ne prévoit pas de retenue sur salaire en cas d'absence du salarié ce jour. Le Conseil de Prud'hommes ajoute que la note explicative du ministère du travail n'a pas force de loi.
  • aucune procédure de sanction pour absence à l'encontre du salarié n'a été mise en œuvre par l'employeur. En conséquence, pour les juges du fond, la retenue sur salaire, décidée et appliquée par l'employeur, n'a pas de base légale. Par ailleurs, le Conseil de Prud'hommes a rappelé que les sanctions pécuniaires sont interdites.

A ce jour, nous ne savons pas si l'entreprise a saisi la Cour de cassation.