Points de vue sur l'actualité

Suez-Gaz de France : la fusion inquiète la CFTC

Le 1er mars dernier, le gouvernement français a annoncé l'absorption de Suez par Gaz de France pour donner naissance à un géant français et européen de l'énergie. Une décision qui a refroidi les relations entre Rome et Paris, mis Bruxelles dans l'embarras, divisé la Belgique et surtout suscité la colère des syndicats.

Privatisation de Gaz de France ou nationalisation de Suez ? Le débat est lancé et il n'a pas fini d'alimenter les colonnes de nos journaux. Pour les uns, la fusion de ces deux champions français de l'énergie contient en germe la privatisation de Gaz de France ; pour les autres, on se dirigerait tout droit vers la nationalisation de Suez, qui réalise une partie de son chiffre d'affaires dans le secteur de l'eau. Qui a raison ? Qui a tort ? L'avenir nous le dira. Pour apporter notre pierre à l'édifice, il semble que le fait que les participations de l'État dans le capital de Gaz de France passent de 80 à 34,5% entérine la privatisation du gazier français. Certes, l'État continue de détenir la minorité de blocage (33% des voix + une), mais celle-ci ne lui permet pas d'agir dans la gestion de l'entreprise au quotidien, puisque, dans ce cas, la majorité des voix suffit, et il ne pourra se prévaloir de cette minorité de blocage que pour des décisions exceptionnelles, prises à l'occasion d'assemblées génales elles-mêmes exceptionnelles. Notons au passage que, ce faisant, le gouvernement s'assoit allègrement sur la promesse faite en 2005, selon laquelle, il ne privatiserait pas Gaz de France. Pour les mêmes raisons, il semble qu'on ne peut pas parler de nationalisation de Suez. La nationalisation implique une volonté, une stratégie économique, commerciale, politique et sociale ; or, il ne semble pas que le gouvernement ait une quelconque volonté dans ce domaine. Reçue le 1er mars dernier par Thierry Breton, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et les Pdg des deux entreprises (Gérard Mestrallet, pour Suez, et François Cirelli, pour Gaz de France), la CFTC a demandé des garanties et des engagements précis sur l'emploi, le service public, le statut des personnels et l'investissement. Concernant l'emploi, «on nous répond: "N'ayez pas d'inquiétudes, il n'y a pas de doublons". C'est une réponse largement insuffisante pour nous : il y aura deux sièges sociaux donc des doublons », a déclaré Joseph Thouvenel, qui conduisait la délégation de la CFTC, à la sortie du ministère. S'interrogeant également sur «l'avenir des 58 000 salariés qui appartiennent a Gaz de France et EDF». Le personnel du groupe gazier souhaite avoir la garantie que le statut ne sera pas remis en cause, a insisté la CFTC en préconisant une harmonisation, vers le haut, des statuts des salariés de la nouvelle entité. Attachée à la continuité du service public, la CFTC a demandé que le prix du gaz reste identique pour tous et a posé la question de l'accès des plus pauvres au service de l'énergie. «On ne veut pas recommencer l'opération "privatisation de l'eau" avec des prix qui explosent», a prévenu Joseph Thouvenel. La CFTC souhaite, en outre, que les salariés soient associés aux décisions de l'entreprise en occupant au moins un tiers des postes du conseil d'administration du futur groupe. «On ne peut pas laisser /es seuls actionnaires décider de l'investissement», a poursuivi le secrétaire général adjoint de la Confédération, en citant les effets négatifs de la privatisation de l'électricité aux États-Unis, où les coupures de courant se sont multipliées. La CFTC plaide, enfin, pour la création d'une «autorité de régulation en France comme en Europe sur les questions cruciales de l'énergie».

Suez et Gaz de France en chiffres

Gaz de France

Chiffre d'affaires: 22,4 milliards d'euros en 2005.
Bénéfice: 1,05 milliard d'euros (en 2004).
Nombre de salariés: 38 251.
Capitalisation: 29,3 milliards au 24 février 2006. Actionnariat: État français (80,2%), salariés (2,3%), institutionnel et particulier (17,5%).
Métiers: achat-vente, production-exploration, distribution, transport stockage de gaz (2ème opérateur européen) et d'électricité.
Présence européenne dans l'énergie: France, Slovaquie, Allemagne, Belgique, Hongrie, Italie, Roumanie. 10,9 millions de clients en France et 1,6 à l'étranger.

Suez

Chiffre d'affaires: 41,5 milliards d'euros en 2005, dont 72% dans l'énergie, en progression de 9% par rapport à 2004.
Bénéfice: 1,8 milliard d'euros en 2004.
Capitalisation: 43 milliards d'euros au 24 février 2006.
Principaux actionnaires: Groupe Bruxelles Lambert (7,2%), Crédit agricole (4,6%), salariés (4,2%), Caisse des dépôts et consignations et Cogema (2,2%), 73,2% de capital flottant.
Nombre de salariés: 160 000.
Métiers: électricité (5ème opérateur européen), gaz (6ème Européen) ; Suez est aussi présent dans l'eau, via la Lyonnaise des eaux (numéro 2 mondial du secteur), l'environnement (traitement des déchets) et les services.

Présence européenne dans l'énergie : France, Pays-Bas, Allemagne, Belgique, Hongrie, Italie, Espagne, Luxembourg, Pologne, Portugal. Deux cents millions de clients dans le monde. Pour permettre la fusion des deux groupes, le gouvernement a choisi la voie du projet de loi afin de modifier le texte du 22 juillet 2004 qui stipule que la part de l'État ne peut pas descendre en deçà de 70% dans les deux entreprises. Le nouveau projet de loi doit permettre à l'État de ramener sa participation dans le capital de Gaz de France aux alentours de 34%.