Points de vue sur l'actualité

Les Prud'hommes : histoire d'une juridiction d'exception

Du 16 au 18 mars dernier, fut célébré le bicentenaire de la création du conseil des Prud'hommes de Lyon (loi du 18 mars 1806). L'occasion de revenir sur ce tribunal civil, composé de magistrats non professionnels élus par leurs pairs.

Institution typiquement française, les conseils des prud'hommes sont, dès leurs créations, attachés à ce que les différends entre employeurs et employés soient arbitrés par des pairs (appartenant à la catégorie professionnelle du plaignant). Mais si l'institution a été officiellement créée en 1806 à Lyon, la pru-d'homie tire son origine du Moyen-Âge. Le livre des métiers de Paris - recensement des us et coutumes professionnels par Etienne Boileau (XIIIe siècle) - relate que la corporation des foulons de draps a déjà quatre prud'hommes, établis par le roi : deux maîtres et deux valets. Le prévôt choisit les deux maîtres sur proposition des valets, et les deux valets sur proposition des maîtres. Un collège ainsi constitué n'est donc pas le lieu d'affrontement de deux partialités contraires, mais une convergence de compétences, d'impartialité, d'équité. Le « Prud'homme » (du latin homo prudens « homme sage et équitable ») était donc un expert d'une profession avec pour fonctions de faire justice, d'apprécier le respect des règles professionnelles ou encore de veiller à la décence des salaires comme aux « conditions de travail » et à la qualité. Au temps des corporations, sous l'Ancien Régime, les prud'hommes, en général élus parmi les maîtres, étaient présents dans tous les corps de métiers, avec des pouvoirs très étendus : moralité du métier, statuts, apprentissage, qualité des produits, arbitrage des conflits.

Disparaissant sous la Révolution avec la loi Le Chapelier (1791), les prud'hommes revivent à Lyon, sur demande des fabricants de soieries. Le 18 mars 1806, Napoléon 1er fait voter une loi portant établissement d'un conseil de Prud'hommes à Lyon et, par son article 34, ménageant le droit d'étendre le bienfait de cette institution à toutes les autres villes de fabriques et de manufactures. Paris fut toutefois privé de conseil jusqu'en 1844, car on craignait cette institution dans la frénétique population de l'industrie parisienne. En 1848, 75 villes possédaient des conseils de Prud'hommes. Dès sa réapparition, l'institution bénéficie de la faveur du syndicalisme naissant et des milieux réformistes, qui voient dans les prud'hommes un des moyens de doter peu à peu le monde du travail des références qui lui font défaut depuis le vide créé par la Révolution. Pour aboutir à sa forme actuelle, l'institution prud'homale a évolué au gré des plaintes de favoritisme d'une partie vis-à-vis de l'autre. Après la première loi nationale de 1848, un amendement en 1850 fut mal perçu parce qu'il consacrait l'oppression du fabricant par l'ouvrier. Alors fut promulguée par le second empire la loi du 1er juin 1853, qui, plus d'un demi-siècle, resta en vigueur dans ses plus importantes parties, même si on lui reprochait l'exclusion presque totale des ouvriers pour la formation des conseils et la trop grande prépondérance donnée aux fabricants... Pendant la IIIe République, les lois de 1905 et 1907 ont donné aux conseils des prud'hommes leur véritable indépendance en confirmant leur caractère électif et paritaire.

Deux questions à Denis Lavat, représentant CFTC au Conseil supérieur de la prud'homie

CFTC- Quelle est la situation des conseils de prud'hommes aujourd'hui, et l'avenir destiné à cette institution ?

Denis Lavât-Les conseils de Prud'hommes croissent et embellissent avec des activités en hausse constante, établissant leur référence incontournable dans la gestion sociale des contentieux du travail.

Même si chacun y va de son analyse sur les chiffres et les délais pour critiquer les institutions, les responsables ministériels ont réaffirmé en 2005 leur soutien à notre exception française. Les professionnels du droit apprécient réellement le travail effectué, tant dans les confirmations des décisions, que dans la gestion de la juridiction. L'avenir semble donc conforté, les modifications intervenant tous les cinq ans restant très subsidiaires.

CFTC- Quelle implication va prendre la CFTC dans ce bicentenaire ?

Denis Lavât- La CFTC participe à tous les travaux du Conseil supérieur de la prud'homie, notamment à un programme de communication grand public, en 2006-2007, sur l'historique et la pratique des Prud'hommes au quotidien, lequel servira l'image globale de la juridiction et fera le lien avec la campagne électorale de 2008.

Repères : Un colloque international a eu lieu les 16 et 17 mars, à Lyon (Université Jean Moulin), sur le thème « Histoire d'une juridiction d'exception : les Prud'hommes (xixème-xxème siècles) ». Ce fut l'occasion de revenir sur l'origine du conseil de Lyon, l'extension et l'adaptation de ce modèle en France. Y ont été posées les questions d'un modèle parisien, de l'impact de la IIIe République (« Une nouvelle ère pour les prud'hommes ?»}. Dans plusieurs pays, a été proposée une comparaison historique de la régulation des conflits du travail.