Points de vue sur l'actualité

Chantiers navals : les grandes manoeuvres

Le désengagement d'Alstom des Chantiers de l'Atlantique répond aux mêmes objectifs que le rapprochement Thales-DCN: la création d'une Europe des chantiers navals. La logique capitalistique dans le civil peut-elle être la même que dans le militaire ?

En 2010, Saint-Nazaire et Lorient feront partie des Chantiers de l'Atlantique détenus par le groupe norvégien Aker Yards. Au même titre que d'autres en Scandinavie, en Allemagne et même au Brésil. Alstom, dont le projet industriel consiste à se recentrer sur les infrastructures et l'énergie, se désengage, ainsi, de la construction navale. Le rachat n'est pas une surprise, d'autant que la transaction prévoit la continuité du management et la poursuite des activités en cours. On peut voir l'opération comme une stratégie industrielle européenne de créer un pôle unique dans le monde «afin de répondre aux besoins croissants de navires de croisière sophistiqués », souligne t-on chez Aker Yards, qui emploie aujourd'hui 13 000 personnes. Absent du haut de gamme, spécialité des Chantiers français, Aker, qui a pour cœur de métier l'activité maritime pétrolière et la pêche, est en croissance, donc en mouvement.

De retour de Turku, à l'est d'Helsinki (la division Cruise and Ferries est finlandaise), Dominique Montfort, délégué syndical central CFTC et représentant au CE d'Alstom, explique que l'opération «renforce les Chantiers de l'Atlantique par rapport à son concurrent actuel (italien) et ceux à venir (en Asie) ». S'il est confiant sur l'autonomie que promet Aker à Saint-Nazaire, l'intersyndicale CFTC-FO-CGC souligne que l'avenir n'est pas écrit et que le «partenariat» qui s'élabore est déterminant pour la suite. «Notre savoir-faire est inégalé, relève Dominique, et nous devons garder la qualité de l'outil industriel. » À Saint-Nazaire, l'ambiance est donc à peu près sereine, car l'arrivée d'Aker a mis fin à une dure période d'incertitude. Mais l'attention est soutenue. Il y a notamment des craintes sociales du côté des activités d'achat et d'études. Aker Yards vient ainsi d'obtenir la commande du plus gros paquebot du monde, capable de transporter 5400 personnes. Il sera vraisemblablement monté à Turku, mais on peut supposer que les Chantiers de l'Atlantique fourniront des modules. La CFTC sera donc «très combative pour pérenniser la construction navale à Saint-Nazaire, compte tenu de son importance dans l'économie locale ». Le marché des paquebots a chuté depuis quelques années, et Alstom, qui perdait de l'argent avec les Chantiers de l'Atlantique, tentait de convaincre l'État de les rapprocher de la DCN (ex-direction des constructions navales, devenue société anonyme en 2003).

Vers un EADS naval

Le naval civil et militaire demeureront séparés et Thaïes va entrer dans le capital de la DCN à hauteur de 25%. Au départ, les pouvoirs publics se sont opposés à ce que l'électronicien de défense prenne davantage et participe à la gestion opérationnelle de la DCN, redoutant un conflit social entre chantiers navals publics et l'Ingérence d'une entreprise privée. Ce qui n'empêche pas les syndicats de se mobiliser. « La CFTC était contre la privatisation de la DCN" plaide Claude Le Guellaff, délégué syndical central sur le site de Nantes-lndret, spécialisé dans la propulsion. «Mous avons été trompés par l'Etats qui promettait, il y a deux, ans encore, le maintien 100% public de la DCN. L'État a beau nous préciser qu'il ne s'agit en rien d'une privatisation de l'entreprise, mais plutôt de son "renforcement », s'indigne-t-il. Claude a des craintes sur la gouvernance de l'entreprise (finances, stratégie, systèmes de combat. ..). Thaïes placerai, malgré ses démentis, certains de ses dirigeante à des postes stratégiques chez DCN pour évaluer les synergies possibles et les freins au rapprochement. « Quel est le devenir de l'expertise publique de nos bureaux d'études ? Quel partage de l'ingénierie est-on en train de préparer ?» La situation sociale de la DCN est complexe avec, parmi les 12 500 salariés, les deux tiers d'ouvriers d'État. Lancé voici près de deux ans, le rapprochement entre les deux groupes a pour but la constitution d'un Airbus naval avec les Allemands. Chacun restructure sa construction navale militaire avant de lancer un projet de plus grande envergure pour avoir une taille critique face aux Américains. Thales-DCN est convoité par le groupe EADS (franco-allemand), troisième acteur européen dans le naval, et par Alcatel. L'avenir de la stratégie européenne semble la construction d'un EADS naval. Les grandes manœuvres ont commencé dans les chantiers navals européens.