Points de vue sur l'actualité

La directive Bolkestein contre la solidarité

Le 13 janvier 2004, le commissaire européen Bolkestein avait présenté une proposition de directive relative aux services. La proposition est toujours à l'ordre du jour et si celle-ci était adoptée nous assisterions à une dérégulation et libéralisation de toutes les activités de services en Europe. Lors de la dernière réunion du Conseil professionnel de l'Eurofedop le 18 novembre 2004, Yves Missaire qui représentait la CFTC avait attiré l'attention sur les conséquences d'une mise en application de cette directive si celle-ci devait être adoptée en l'état par le Parlement européen.

Le projet de directive s'applique non seulement à tous les services fournis aux entreprises et aux consommateurs (allant de la publicité, l'embauche (y compris les agences d'intérim), au commerce, aux services de nettoyage et à la construction), mais aussi aux services publics, ainsi la santé, l'éducation, la culture, les médias audiovisuels, les services des pouvoirs locaux … . Tous ceux-ci seraient considérés comme de pures marchandises et entièrement soumis aux lois du marché, sans que l'on ne tienne compte de leur caractère spécifique ni de leur objectif social. De la même manière, toute la sphère de l'économie sociale est menacée et en particulier celle visant à l'insertion de groupes défavorisés sur le marché du travail.

Il s'agit de supprimer les obstacles qui entravent le développement des activités de services et de l'achèvement du marché intérieur.

Or ces « obstacles » sont le plus souvent des règles prises par les pouvoirs publics dans l'intérêt d'un meilleur service pour tous en vue de protéger les travailleurs, d'assurer une saine gestion des derniers publics, d'imposer des normes tarifaires, d'assurer un accès à tous aux services, de garantir la qualité des services.

Ces règles sont là pour éviter que le libre exercice des services devienne une jungle où la seule règle en vigueur est la recherche du profit immédiat !

A terme, cette directive risque d'avoir des conséquences catastrophiques pour chacun d'entre nous :

  • Incitation à mettre en place des pratiques de dumping social, fiscal et environnemental à grande échelle ;
  • Pressions sur les acquis sociaux : rémunération à la baisse, durée du travail à la hausse, flexibilité accrue - sans compensation sociale ;
  • Transformation de la santé, l'éducation, la culture et l'audiovisuel en de simples marchandises soumises aux lois du marché ;
  • Privatisation et libéralisation d'office et sans possibilité de retour des secteurs des services publics.

Ce projet de directive est donc une remise en cause fondamentale du modèle social européen, et au mépris des règles démocratiques en subordonnant aux intérêts du marché et de la concurrence le droit des pouvoirs publics d'encadrer et de défendre un certain modèle de société. Spécialement le principe du pays d'origine présente une incitation légale à délocaliser vers le pays où les exigences fiscales, sociales et environnementales sont les plus faibles et d'y créer des entreprises « boîtes aux lettres » qui, à partir de leur siège social, pourront essaimer sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne à des conditions défiant toute concurrence. Comme, au sens large, ceci concerne aussi les entreprises d'intérim, il paraît y avoir une tentative de complète rupture des marchés de l'emploi existants dans les pays membres de l'UE.

Par la suppression d'un grand nombre de procédure d'autorisations, cette directive rendrait impossible d'imposer à un prestataire de services de santé :

  • Des tarifs obligatoires minimum et/ou maximum pour les médicaments, pour les honoraires ;
  • Des normes d'encadrement minimales en termes de personnel dans les maisons de repos et dans les hôpitaux ;
  • Des conditions de subrogation tenant compte du mode de financement spécifique des soins de santé ;
  • Des normes de qualité des soins prodigués.

Les Etats membres de l'UE risquent de perdre une grande part de leur autonomie dans la définition des choix fondamentaux portant sur l'organisation des soins de santé. En d'autres termes, c'est la fin de toute politique de santé publique.

Les conséquences de la directive dans sa forme actuelle seraient donc

  • Contre le Modèle social européen
  • Un remplacement de l'idée d'une Union politique européenne par une simple intégration de l'UE dans une spirale de la libéralisation de plus en plus poussée, sans s'attacher à l'aspect social (qui est complètement négligé au sein de l'organisation Mondiale du Commerce (OMC)
  • Contre une Union européenne organisée par le principe de subsidiarité
  • Contre une Union européenne telle qu'elle est décrite dans la future constitution de l'EU.

Dans ce sens, la CFTC fonction publique ne peut que protester contre ce projet de directive. Nous espérons que la Commission européenne - retirera le présent texte et s'efforcera de présenter une nouvelle proposition.

En outre, afin de prévenir des évolutions chaotiques des marchés de l'emploi européen, une adaptation des conditions de travail dans l'ensemble des pays de l'Union Européenne s'impose en s'alignant, non pas sur la législation offrant le plus bas degré de protection aux travailleurs, mais - suivant la constitution de l'UE - sur un niveau de protection social élevé.