Points de vue sur l'actualité

Dégradation programmée de la santé au travail : les médecins du travail en voie de disparition

En modifiant par la loi du 17 janvier 2002, les "services de médecine du travail" en "services de santé au travail", le législateur n'avait sans doute pas imaginé que les médecins du travail seraient progressivement écartés de l'entreprise. Les accords de septembre 2000 envisageaient pour les médecins du travail un rôle privilégié d'interface entre les dirigeants d'entreprise et les salariés, ils devaient assurer le suivi médical des salariés en milieu de travail. En fonction des résultats de l'évaluation des risques, l'employeur, en liaison avec le médecin du travail, pouvait s'appuyer sur la capacité d'autres professionnels (ingénieurs de sécurité, infirmières du travail...)

Pourtant, deux décrets mettent fin à la seule approche globale, indépendante, de santé au travail dans l'entreprise dont bénéficiaient les salariés, les organisations syndicales et l'employeur. Le décret du 24 juin 2003 créant les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) et le décret du 28 juillet 2004 relatif à la réforme de la médecine du travail conduisent en effet à cette conclusion.

La CFTC, associée aux quatre autres Confédérations de salariés, avait vivement critiqué le décret instituant les IPRP. Le 5 décembre 2003, l'ensemble des organisations représentatives de salariés avait quitté une réunion du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels, rejetant unanimement le projet de décret sur la réforme de la médecine du travail. En septembre 2000, nous invitions les pouvoirs publics à repenser la politique de numerus clausus dans la spécialité médecine du travail. Laissant de côté cette demande et s'inspirant des propositions du patronat, l'Etat a choisi d'alourdir la charge des médecins du travail et donc de remettre en cause leur mission première.

L'effectif maximum théorique dont chaque médecin du travail a la charge augmente de près de 1 % ! La modification du mode de calcul entraîne une augmentation du nombre de visites médicales réalisées par chaque médecin du travail.

Ces augmentations sont en complète contradiction avec l'esprit de l'accord signé par les partenaires sociaux le 13 septembre 2000. En effet, cet accord prévoyait une modulation de la périodicité des visites systématiques (deux ans maximum) au profit d'une présence accrue du médecin du travail dans l'entreprise. S'il doit toujours consacrer le tiers de son temps à sa mission en milieu de travail, ce sont, désormais, près de 3 200 examens qu'il devra réaliser chaque année. Confiné dans son cabinet médical, le médecin sera de plus en plus éloigné des réalités de l'entreprise, situation déjà dénoncée dans un rapport de l'Inspection général des affaires sociales du mois de mars 2004.

Ayant la charge d'un maximum de 450 entreprises et seulement 150 demi-journées par an pour s'en occuper, le médecin du travail pourrait être conduit à n'avoir un contact direct avec une entreprise dont il a la charge que tous les trois ans ! Ceci est particulièrement vrai dans pour les petites entreprises dépourvues de CHSCT.

Privés de l'action d'un professionnel indépendant et soumis aux règles de déontologie, des millions de salariés seront les premières victimes d'un système qui accentuera la dégradation des conditions de travail déjà constatée.

La CFTC juge inacceptables ces nouvelles dispositions qui, au nom de la compétitivité, remettent en cause le droit fondamental du salarié à la protection de sa santé sur le lieu de travail.