Points de vue sur l'actualité

Industrie informatique : la production abandonnée au profit des services

Le secteur n'a cessé de progresser depuis le milieu des années 1990. Mais le ralentissement économique a progressivement obligé les entreprises à se désengager de la production industrielle. De l'assemblage des composants d'un PC, elles se tournent aujourd'hui vers d'autres domaines tels que les assistants numériques et les serveurs. Mais l'avenir est aux services.

L'informatique n'échappe pas à la désindustrialisation. Un même constat découle de quelques appels à nos responsables syndicaux : les géants de l'industrie informatique se muent en sociétés de service. Pour commencer, on sort la production : Hewlett Packard (HP) a des partenaires industriels, «des chaînes polyvalentes capables de faire du PC portable le matin et des téléphones l'après-midi», note Fabrice Breton, délégué syndical central (DSC) de HP Même son de cloche chez Nec (Packard Bell). À Angers, où le groupe japonais avait installé une grosse unité de fabrication européenne, on fabrique des unités centrales, «mais elle pourrait partir en Asie, où sont déjà construits nos ordinateurs portables », explique Etienne Heuveline, délégué syndical central de Nec. Puis, vient l'externalisation de métiers supports : l'Irlande accueille les centres d'appels d'IBM, l'Inde la programmation, et la comptabilité est faite en Slovaquie. «Bientôt, c'est la recherche-développement qui pourrait partir en Europe de l'Est», s'alarme Éric Cruchet, coordinateur national CFTC de «Big Blue» (IBM). Son équipe se fait du souci pour les puissants laboratoires de Saint-Nazaire, de Corbeil-Essonne et de La Gaude, près de Nice. «En France, il n'y a plus de montage. Il ne reste que du contrôle, du commercial ainsi que les fonctions supports», ajoute Michel Lefèvre, responsable syndical au CCE.

La gestion sociale de ces restructurations est épique. 4 000 salariés d'IBM sont sans activité et beaucoup bénéficient d'une préretraite. Chez Bull, l'entreprise publique s'est séparée, ces dernières années, de 3 000 personnes et l'État a dû recapitaliser le groupe pour échapper au dépôt de bilan. «Maintenant, témoigne Patrice Héran, DSC, on vit entre l'attente d'une reprise économique et de la confirmation de l'accord de Bruxelles sur les aides de l'État» Le constructeur s'est mué en prestataire de service, pour redresser la barre, en se diversifiant après s'être séparé de plusieurs de ses activités. Son grand confrère IBM, lui, développe le métier d'infogérance (cela consiste à reprendre l'activité informatique d'un groupe).

Demain, IBM France ne sera-t-elle qu'une vaste SSII (société de service et d'ingénierie informatique) de 12 000 salariés ? L'enjeu social est dur. Dans une entreprise qui se désindustrialise, le commercial est roi. Les salariés chez Nec travaillent au service d'assistance téléphonique, «dans des conditions de plus en plus stressantes : c'est le travail à la chaîne du tertiaire», relève Etienne Heuveline. La direction d'IBM a, quant à elle, mis en place, unilatéralement, un système de notation des salariés, de 1 à 4, ce qui avait fait scandale à l'époque. La CFTC a dénoncé ces mesures «rigides et arbitraires». Elle se bat aujourd'hui pour que la convention collective ne soit pas dénoncée. Signe des temps, IBM quitte la convention de la métallurgie pour celle des sociétés de services, bien moins favorable socialement. «C'est l'une des pires. Par exemple, le samedi y est un jour ordinaire... » Ces entreprises emploient de nombreux cadres dont beaucoup travaillent au forfait jour, chez la clientèle. Ils sont essentiellement nomades et n'ont pas de bureau. «Ce sont des salariés sans relations managers-managés et qui ne peuvent pas s'installer et fonder une famille», souligne Éric Cruchet. La désindustrialisation produit une dématérialisation du travail, une déstructuration du salarié à laquelle n'échappe pas un des plus puissants secteurs économiques.

L'industrie informatique regroupe les industries des équipements et composants électriques et électroniques. Une poignée de multinationales emploient la quasi-totalité des effectifs et dominent le marché : Dell, IBM, Hewlett Packard, Microsoft, Oracle, auxquels peuvent s'ajouter Apple, Sun ou Cisco... HP, IBM et Dell se livrent une guerre sans merci sur le marché des serveurs, Microsoft et Oracle sont les frères ennemis des bases de données, alors que HP et Dell se partagent la principale part de marché des ordinateurs PC. En 2002, moins de 100 000 personnes travaillaient en France à la recherche et à la production, que ce soit pour l'industrie informatique et des composants que pour l'électronique grand public. La part des cadres, des ouvriers et des professions intermédiaires (techniciens, agents de maîtrise) est similaire. Le secteur emploie un personnel plus qualifié que dans le reste de l'industrie manufacturière avec, notamment, beaucoup de chercheurs.