Le droit dans la Fonction Publique

L'effet collatéral des ''recalculés'' : Le juge administratif ne peut annuler un acte que pour l'avenir

Dans ses conclusions relatives aux arrêtés du 5 février 2003 portant agrément de conventions d'assurance chômage, le conseil d'État (CE, 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et a.) a admis que le juge administratif annule un acte uniquement pour l'avenir. Une évolution jurisprudentielle majeure, la décision créant une entorse à la règle selon laquelle « l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu ».

Le Conseil d'État a jugé illégales les clauses relatives à l'aide à la mobilité géographique (conventions 2001 et 2004). L'ANPE étant seule compétente pour les accorder, les partenaires sociaux ne pouvaient confier cette prérogative aux Assedic. Sont aussi illégales les clauses relatives aux pouvoirs de la commission paritaire nationale : les partenaires sociaux ne pouvaient déléguer à celle-ci le pouvoir de définir certaines modalités d'application du régime d'indemnisation alors qu'elle était composée des seules organisations signataires de la convention d'assurance chômage. Les arrêtés agréant ces clauses sont annulés, conformément au droit commun.

Pour les autres effets des arrêtés agréant les avenants à la convention du 1er janvier 2001, il a, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées, renoncé au caractère rétroactif de l'annulation. S'agissant enfin des arrêtés agréant la convention du 1er janvier 2004 et ses actes annexés, il ne les a annulés qu'à compter du 1er juillet 2004.

Le Conseil d'Etat a, par ailleurs, jugé illégale la composition du Comité supérieur de l'Emploi, consulté lors de la procédure d'agrément, plusieurs des personnes y ayant siégé n'étant pas régulièrement membres du comité. Le ministre du Travail François Fillon ayant négligé de désigner par décret les membres des organisations syndicales et patronales au Comité supérieur de l'emploi, en particulier à la commission permanente. L'agrément que celle-ci a donné aux accords d'application des conventions relatives à l'indemnisation du chômage a donc été annulé par le Conseil d'Etat pour vice de forme.

La conséquence de la négligence du ministre du travail est plus grande qu'il n'y paraît, car ce n'est pas seulement l'indemnisation du chômage qui s'en trouve affectée, mais le droit public.

En effet, selon un très ancien principe du droit, quand un acte administratif est déclaré illégal, cette illégalité le rend nul depuis son origine et pas seulement à partir de la date de l'arrêt d'annulation. Si donc le Conseil d'Etat avait respecté ce principe, les conventions UNEDIC de janvier 2001 et de janvier 2004 auraient été annulées à compter de ces dates.

On imagine les conséquences de la désinvolture du ministre du Travail, toutes les cotisations perçues et toutes les prestations versées aux chômeurs auraient été déclarées illégales et auraient dû être remboursées !

L'annulation des arrêtés aurait été disproportionnée

Pour éviter un tel pataquès, le Conseil d'Etat a décidé que l'annulation des arrêtés en cause prendra effet à partir du 1er juillet, pour donner le temps aux partenaires sociaux et au gouvernement de mettre en place un système de remplacement.

Cherchant à connaître les effets d'une éventuelle annulation des arrêtés litigieux, le Conseil d'État avait interrogé les parties. Il en est ressorti une « description cataclysmique », pour les défendeurs, la principale conséquence d'une annulation étant de créer un vide juridique mettant en cause à court terme le fonctionnement du régime d'assurance chômage, une description de nature à laisser penser qu'elle serait sans lendemain, car suivie d'une loi de validation. Avec, de l'autre côté, du fait de l'intervention vraisemblable d'une telle loi et d'un nouvel arrêté d'agrément pour la convention entrée en vigueur le 1er janvier 2004, un bénéfice éventuel pour les cotisants ou allocataires qui ne serait qu'illusoire. Un panorama, en somme, « bien éloigné a priori de ce que recherchaient les associations requérantes »; (concl, p. 22).

Ce bilan justifie la brèche ouverte par la Haute juridiction : elle confère au juge le pouvoir de déroger à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses « s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets ».

C'est au juge « de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine ».

Ceci introduit un nouveau principe de droit public, selon lequel, lorsque l'illégalité d'un acte entraîne des conséquences excessives, cette illégalité ne prend effet que pour l'avenir.

Une analyse partagée par la CJCE

Si elle a de quoi surprendre, la brèche ainsi entrouverte par le Conseil d'État rejoint le pouvoir de modulation dans le temps de la Cour de justice des Communautés européennes, à la différence près que ce dernier repose sur un texte (traité de Rome, art. 231). Un rapprochement qui se limite toutefois au contentieux de l'annulation d'un acte illégal, seule hypothèse visée par le Conseil d'État. Car la CJCE a développé une conception extensive de son pouvoir, dépassant le cadre du recours en annulation visé par le Traité de Rome. Point commun des deux jurisprudences : l'application restrictive que fait la CJCE de son pouvoir, ne l'utilisant que lorsque «d'impérieuses considérations de sécurité juridique le justifient», et que devra en faire le juge administratif.