Le droit dans la Fonction PubliqueStatut de la Fonction Publique : le «Big Bang» du Conseil d'EtatLe Conseil d'Etat apporte sa contribution au débat actuel sur la réforme de l'Etat, en consacrant une partie de son rapport annuel (rapport public 2003 - La Documentation Française) au thème des «perspectives pour la fonction publique». Les hauts magistrats estiment qu'une « évolution en profondeur » est nécessaire, afin d'accroître l'efficacité de la fonction publique, d'adapter sa gestion aux exigences de la gestion des ressources humaines, et d'articuler le droit de la fonction publique avec d'autres branches du droit (par exemple le droit communautaire de la libre circulation). À cette fin, le Conseil d'État suggère une évolution du statut actuel des fonctionnaires. Réviser le statut de 1946 Même s'ils reconnaissent que le statut de la fonction publique de 1946 « a permis que se constitue en France une fonction publique intègre, professionnelle et impartiale», les magistrats du Palais-Royal estiment que ce statut devrait être adapté. Les magistrats notent aussi que si le statut n'est apparu qu'en 1946, c'est au demeurant pour une large part du fait de l'hostilité qui ne s'était pas démentie jusque là, du principal syndicat des fonctionnaires (CGT), à un régime statutaire et réglementaire, ce syndicat estimant que la fonction publique devait être soumise au régime de droit commun du travail salarié. Et ils indiquent que la CFTC avait joué un rôle déterminant dans la création du statut de la fonction publique. Sans déterminer ce que devrait être le contenu de cette évolution, le Conseil d'État propose une ligne directrice susceptible d'être retenue : celle d'obtenir une « plus grande adaptabilité de la fonction publique à ses missions », ce qui implique « moins de rigidités et de frontières, plus de souplesse et plus de fluidité ». Et évoquant le statut des fonctionnaires, le rapport estime qu' « il ne constitue pas un tout indistinct dont tous les éléments seraient indissolublement liés et ne pourraient de ce fait être modifiés isolément les uns des autres ». Le Conseil d'État considère que cette adaptation de la fonction publique posera nécessairement la question du champ de la particularité du régime des agents publics par rapport au droit commun du travail, champ qui «a toujours été conçu largement». En effet, si la puissance publique n'est pas un employeur comme les autres et doit pouvoir faire prévaloir les objectifs d'intérêt général dont elle a la charge, une approche relativisant les différences entre le droit de la fonction publique et le droit commun du travail est de plus en plus communément partagée. Cette approche n'oppose plus radicalement fonctionnaires et salariés, et propose une construction faite de principes de base identiques et d'une « gamme de statuts » nuançant avantages et sujétions selon que l'activité considérée est liée de façon plus ou moins étroite à l'intérêt public. Nouvelles structures de gestion S'agissant des dispositions susceptibles d'être prises pour faciliter une gestion fonctionnelle de la Fonction publique de l'État, le rapport avance deux orientations possibles.
Pour la gestion d'ensemble de la fonction publique, le rapport conclut à la nécessité de maintenir un fort pilotage aux mains de l'État, « pour éviter les tendances centrifuges toujours difficiles à contenir, comme le montre tout particulièrement le cas de l'Espagne » Contrat et dialogue social Le Conseil d'État évoque la possibilité de faire émerger un droit contractuel dans la fonction publique. Les accords collectifs pourraient ainsi devenir une source autonome du droit de la fonction publique et régir les conditions d'exercice des fonctions. Lors de la mission confiée à Jacques FOURNIER sur le dialogue social dans la fonction publique, la CFTC avait demandé à celui-ci d'explorer cette piste, qui sans remettre en cause le statut de la fonction publique pourrait permettre aux organisations syndicales signataires d'un accord d'avoir une voie de recours si l'employeur public ne respectait pas le contenu de l'accord et ainsi responsabiliser les partenaires sociaux. Le rapport prend aussi en compte une observation de la CFTC sur l'effet pervers du système actuel qui permet à des organisations syndicales non-signataires d'un accord soit de critiquer les syndicats signataires si l'accord n'est pas respecté par l'employeur, soit, si cela se passe bien de dire « nous n'avons pas signé car ce n'est pas la peine de le faire ». Le Conseil d'Etat indique, en outre, que des contrats individuels pourraient eux aussi être développés, soit par assouplissement du régime actuel dérogatoire, soit par expérimentation d'éléments contractuels dans les relations des fonctionnaires avec leur employeur, «pour ce qui est des conditions précises de leur emploi ». Sur le dialogue social, le rapport propose de mettre fin au dispositif faisant des élections aux CAP des différents corps la base de la représentativité des organisations syndicales dans les CTP et au Conseil supérieur de la Fonction publique de l'État qui favorise le corporatisme, et préconise des élections par service en s'appuyant sur le principe jurisprudentiel constant de « concordance ». Cette proposition est intéressante car elle permettrait d'avoir une vision « globale » de la représentativité syndicale quelles que soient les catégories de personnel, ce qui n'est pas le cas actuellement puisque seules les CAP centrales de fonctionnaires sont comptabilisées et de tenir compte de l'activité syndicale dans les services. Le Conseil d'État souligne en outre la nécessité d'enrichir et de renforcer la portée du dialogue social. Il parle d'un « saut qualitatif » à effectuer en la matière, soulignant que les esprits évoluent sur le sujet, et qu'il y a une vraie attente globale, même si son mode d'expression n'est pas toujours identique, que soit renouvelé « le contrat social » de fait qui unit la fonction publique à la Nation. Ce contrat social était fondé en 1946 sur l'idée « de faire jouer un rôle moteur à l'État pour moderniser le pays, de rationaliser le mode de gestion de ses agents et de fournir à chacun d'entre eux un ensemble de garanties individuelles et collectives pour qu'ils s'engagent activement dans la reconstruction puis dans la croissance économique ». On peut y ajouter aujourd'hui l'idée de « la participation concrète, active, efficace des agents à la vie de la Nation, aux défis qu'elle affronte dans le monde dans et avec l'Europe », et le constat que les collectivités territoriales jouent aussi un rôle moteur aux côtés de l'État du fait de la décentralisation. Ces changements de circonstances conduisent à ouvrir le débat sur l'opportunité ou non d'aménagements de niveau législatif au statut général. Cependant le sens de tels aménagements ne peut être que de « renouveler » le lien qui unit la fonction publique à la Nation, de la solidité duquel les organisations syndicales, comme l'État et les collectivités territoriales, ont à être les garants. |