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Le droit dans la Fonction Publique
Egalité des sexes :
le Conseil d'Etat pose le principe de l'égalité des bonifications.
Un jugement biaisé et hypocrite.
Tirant les conséquences d'un arrêt du 29 novembre 2001 de la Cour de Justice
des Communautés Européennes, le Conseil d'Etat vient de faire droit à la demande
d'un fonctionnaire qui souhaitait bénéficier de la bonification pour l'éducation
des enfants, jusqu'alors réservée aux "femmes fonctionnaires" (29 juillet 2002,
n° 141112, M. Joseph Griesmar). Une décision qui pose beaucoup d'interrogations.
Le requérant, M. Griesmar est magistrat, père de trois enfants. Un arrêté en
date du ler juillet 1991 lui a concédé une pension de retraite en totalité mais
en ne prenant pas en compte trois annuités au titre de l'article L. 12 b du Code
des pensions civiles et militaires de retraite. Cette disposition réserve aux
seules femmes le bénéfice de la bonification d'une annuité par enfant. Estimant
que cette disposition est contraire aux principes fondateurs du droit européen
et repose sur une discrimination fondée sur le sexe, le requérant a saisi la
justice.
Dans une première décision en date du 28 juillet 1999, le Conseil d'Etat avait
soulevé la question devant la Cour de Justice des Communautés Européennes afin
d'obtenir l'appréciation de la compatibilité de la disposition française avec
les normes de valeur communautaire. Ainsi, le juge français souhaitait connaître
tout d'abord, le champ d'application de l'article 119 du Traité de Rome qui
précise que «chaque Etat membre assure et maintient l'application du principe de
l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs
féminins» et notamment savoir si les pensions servies par le régime français de
retraite des fonctionnaires sont au nombre des rémunérations visées par cette
disposition. Par ailleurs, le juge demandait à la C. J. C. E. d'apprécier, le
cas échéant, la compatibilité de l'article L. 12 b du code des pensions civiles
et militaires de retraite avec les précisions apportées par l'article 6§3 de
l'accord annexé au protocole n° 14 sur la politique sociale.
La pension est une rémunération
Dans un arrêt en date du 29 novembre 2001, la C. J. C. E. avait estimé que « le
principe de l'égalité des rémunérations est méconnu par une disposition telle
que l'article L. 12, sous b du code des pensions civiles et militaires de
retraite, en ce qu’elle exclut du bénéfice de la bonification qu'elle instaure
pour le calcul des pensions de retraite les fonctionnaires masculins qui sont à
même de prouver avoir assumé l'éducation de leurs enfants ».
Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d'Etat a précisé dans son arrêt
du 29 juillet 2002 que « le b de l'article L. 12 du code des pensions civiles et
militaires de retraite qui institue, pour le calcul de la pension, une
bonification d'ancienneté d'un an par enfant dont il réserve le bénéfice aux
'femmes fonctionnaires" (..) est incompatible avec le principe d’égalité des
rémunérations tel qu'il est affirmé par le Traité instituant la Communauté
européenne ».
Des zones de flou.
Seulement, plusieurs zones de flou apparaissent lors de la comparaison des deux
décisions. Dans sa décision du 29 novembre 2001, la C. J. C. E. avait réservé le
bénéfice de la bonification aux seuls «fonctionnaires masculins qui sont à même
de prouver avoir assumé l'éducation de leurs enfants». Par cette précision, le
juge communautaire établissait une distinction entre les femmes et les hommes
fonctionnaires, seuls les seconds devant faire la preuve qu'ils ont
effectivement assumé l'éducation de leurs enfants pour percevoir la
bonification.
Or, le Conseil d'Etat par la voix de son Commissaire du Gouvernement n'a pas
suivi ce chemin, estimant qu'aucune preuve ne doit être rapportée par le
requérant dès lors que les articles 371-2 et 203 du Code Civil posent une
présomption selon laquelle les parents assument l'éducation de leurs enfants. En
conséquence, il semblerait que ce soit à l'administration d'apporter la preuve
que l'homme fonctionnaire n'a pas assuré ladite obligation. Cette position est
totalement opposée à celle de la C. J. C. E. qui, pour atténuer les conséquences
économiques de l'incompatibilité, affirmait «qu'il n'est pas établi que le
nombre de fonctionnaires masculins retraités en mesure de prouver qu’ils ont
assumé l'éducation de leurs enfants est de nature à provoquer des répercussions
économiques graves».
Et justement, les conséquences financières sont bien présentes, puisque d'ores
et déjà estimées entre 450 et 760 millions d'euros. Néanmoins, le Conseil d'Etat
semble avoir trouvé une parade afin d'atténuer l'impact de ce bouleversement.
En effet, le juge précise, dans le corps de sa décision, que « la demande de
révision de, la pension (a été .formulée) dans le délai prévu à l'article L. 55
du code des pensions civiles et militaires ». Cet article prévoit en effet que
"la pension et la rente viagère d'invalidité sont définitivement acquises et ne
peuvent être révisées ou supprimées à l'initiative de l'administration ou sur
demande de l'intéressé que dans les conditions suivantes (..) dans un délai d’un
an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la
pension ou de la rente viagère, en cas d'erreur de droit".
Ainsi, seuls les fonctionnaires qui se sont vu notifier la décision voici moins
d'un an pourraient bénéficier du principe posé par le Conseil d'Etat, atténuant
ainsi fortement l'effet rétroactif de la mesure. Cette échappatoire pourrait
n'être que temporaire puisque la C. J. C. E. elle-même indiquait au mois de
novembre 2001 « que les Conséquences financières qui pourraient découler pour un
état membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par
elles-mêmes la limitation des effets dans le temps de cet arrêt".
Un débat biaisé et hypocrite.
Face aux nombreuses conséquences de cet arrêt, il est évident que d'importants
contentieux vont apparaître devant les juridictions administratives. Deux
positions vont alors s'affronter soit la limitation de la rétroactivité en
échange d'une présomption de participation à l'éducation des enfants (position
du juge français) soit, une rétroactivité soumise à une obligation de rapporter
la preuve de l'éducation des enfants (position du juge communautaire).
Interrogée, la fonction publique minimise fortement la portée de cette décision
: «Tant que la loi est inchangée, la décision ne vaut que pour une seule
personne». Le ministère n'envisage d'évoquer cette question que dans le cadre du
dossier général des retraites. Après dix années de contentieux, le Gouvernement
n'est donc pas pressé de régler cette question.
Ce qui vient de se passer est l'illustration d'un débat juridique biaisé et
hypocrite, mais qui risque de se solder, à terme, par la mort sans gloire d'une
disposition du droit des pensions. Parce que, en réalité, aucun des
protagonistes en cause ne l'aura défendu : ni le requérant, ni la C. J. C. E.,
ni le Conseil d'Etat, ni le Gouvernement, en ne cherchant pas à établir la
raison d'être de cette disposition particulière pour les femmes fonctionnaires,
mais en s'appuyant sur le seul principe du « totalitarisme égalitaire ».
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